Les réactions étaient nombreuses vendredi, au lendemain du vote à la Chambre sur la réforme du Code des sociétés portée par le ministre de la Justice, Koen Geens (CD&V). Elles étaient, pour une bonne part, positives, avec toutefois quelques critiques ou craintes. Voyons quelles sont les principales avancées de cette réforme qui a fait l’objet depuis près de deux ans de discussions et qui prendra effet progressivement à partir du 1er mai 2019.
1 Réduction du nombre de formes de sociétés et plus de capital minimum
Le nouveau Code des sociétés et associations réduit le nombre de formes de sociétés (de 17 à 4) “tout en augmentant la flexibilité dans le cadre des formes restantes”. “La société à responsabilité limitée (SRL) est repensée en profondeur et sera normalement la personne morale de référence en droit des sociétés” , explique Eubelius, un des cabinets d’avocats qui a participé à la rédaction du texte (de plus de 1 000 pages !).
La société anonyme (SA) reste soumise aux règles européennes en matière de capital “et restera probablement la forme de société de référence pour les grandes sociétés et les sociétés cotées” , poursuit Eubelius. Désormais, une seule personne pourra être en mesure de créer une SRL sans exigence de capital. “Le fait de supprimer le capital minimum est une avancée historique. On pourra monter sa boîte sans financement préalable. Cela va faciliter la tâche de beaucoup de start-up” , estime Me Vanessa Marquette, associée au cabinet Simont Braun (dont un des associés, Paul Alain Foriers, a également été associé aux travaux).
La FGTB, elle, ne voit pas d’un bon œil cette “flexibilisation” de la SPRL en SRL. Elle estime qu’elle va conduire à “une augmentation des constructions boîtes aux lettres” dans notre pays. Le syndicat socialiste craint également que les grosses fortunes soient incitées à mettre sur pied une société pour échapper à l’impôt des personnes physiques et aux cotisations sociales.
Le député Écolo Gilles Vanden Burre “se pose aussi de grandes questions” sur le capital à zéro euro. Pour lui, la constitution de fonds propres minimum “responsabilise” le jeune entrepreneur même si, reconnaît-il, des garde-fous sont prévus, avec notamment l’obligation d’établir des business plans.
Dans un communiqué, Febelfin bat en brèche l’idée que la suppression du capital minimum pour la SRL va avoir un impact sur l’octroi de crédit. “Lorsqu’elles octroient des crédits, les banques examinent avant tout le business plan, les actifs et les dettes d’une entreprise au moment de la demande de crédit. Le capital de départ n’a jamais joué un rôle majeur dans l’évaluation d’un dossier de crédit” , souligne le CEO Karel Van Eetvelt.
2 Introduction du droit de vote double ou multiple
Dans une SA cotée en Bourse, les actions peuvent acquérir un droit de vote double, à condition qu’elles soient nominatives, entièrement libérées et détenues par le même actionnaire depuis au moins deux ans. L’introduction de ce mécanisme de droit de vote double requiert une majorité des 2/3 (66 %) des voix à l’assemblée. Pour les sociétés non cotées, le droit de vote peut être multiple. Pour la société Deminor, ces dispositions “violent le principe d’égalité ‘one share one vote’” . Quant à la majorité des 2/3 et donc la dérogation à la majorité de 75 % exigée pour toute autre modification des statuts, “elle porte gravement atteinte aux droits des actionnaires minoritaires”, estime Deminor.
Me Vanessa Marquette juge, quant à elle, l’idée du droit de vote double ou multiple “assez bonne”. “Elle existe d’ailleurs déjà aux Pays-Bas et en France. Cela permet de maintenir le contrôle dans une société sans avoir nécessairement injecté des fonds importants et surtout peut s’avérer utile pour les fondateurs d’une nouvelle société qui souhaitent réaliser une introduction en Bourse”.
3 Responsabilité limitée des administrateurs
Avec le nouveau Code, la responsabilité des administrateurs est restreinte sur la base de la portée et de la taille de l’entreprise. Cela permet de lever un obstacle majeur pour les assurances couvrant les administrateurs.
Très critique sur la mesure prévue initialement, la FGTB se réjouit que les partis de la majorité de droite “aient renoncé à appliquer cette limitation aux erreurs graves de gestion. Cette importante amélioration est le résultat d’une pression permanente des syndicats et du travail des partis d’opposition au Parlement, la faction socialiste en tête”, souligne-t-elle dans un communiqué.
“Cette disposition permet de s’aligner sur les pays limitrophes et aussi d’harmoniser le système par rapport à celui en vigueur pour les réviseurs ou les CEO. Mais dans les faits, je ne suis pas sûre que cela va alléger la responsabilité des administrateurs, notamment en cas de faute répétée ou grave, le plafond ne joue pas” , estime Me Vanessa Marquette.
4 Quelques modifications pour les coopératives et les ASBL
Dans son communiqué, Eubelius explique que “la société coopérative à responsabilité limitée sera réservée aux entités qui ont véritablement un but coopératif et exige toujours trois fondateurs ” (contrairement à la SA ou la SRL) mais “suit, pour le reste et en substance, les règles applicables à la SRL. Pour ce qui est des ASBL, “le seul critère permettant de distinguer les sociétés et les associations est la distribution des bénéfices : il est interdit aux associations et fondations de distribuer directement ou indirectement des bénéfices aux fondateurs, membres ou administrateurs” , poursuit Eubelius.
Le sort réservé aux ASBL reste une “déception” pour Gilles Vanden Burre, qui estime que le “rôle sociétal” n’a pas été assez pris en compte. La promesse de Koen Geens de publier des brochures explicatives le laisse dubitatif. Écolo s’est abstenu lors du vote, étant tout de même satisfait de certaines concessions concernant les coopératives discutées avec le cabinet de Koen Geens.
Ariane van Caloen
La Libre Belgique – samedi 2 mars 2019